Qui marche dans le grenier ?
Quand j'ai traversé, l'autre soir vers onze heures, la chambre de Bel-Gazou pour gagner la mienne, elle ne dormait pas encore. Elle gisait sur le dos, les bras au long d'elle, et ses prunelles sombres bougeaient sous la frange des cheveux...
- Tu ne dors pas ?
- Non, maman.
- A quoi penses-tu, toute seule, comme ça ?
- J'écoute.
- Et quoi donc ?
- Rien, maman.
Au même instant, j'entendis distinctement le bruit d'un pas lourd et non chaussé, à l'étage supérieur. L'étage supérieur, c'est un long grenier où personne ne couche, où personne, la nuit tombante, n'a l'occasion de passer. La main de ma fille, que je serrais, se contracta dans la mienne.
Je demandai malgré moi:
- Mais qui donc marche là-haut ?
Bel-Gazou ne répondit pas.
- Tu n'entends pas ?
- Si, maman.
La petite pleura brusquement et s'assit sur son lit.
- «Il» marche comme ça toutes les nuits...
- Qui ?
- Le pas.
- Le pas de qui ?
- De personne.
- Mon Dieu ! Que les enfants sont bêtes ! Je monte, tiens. Oui, je vais t'en donner, moi, des pas au plafond !
L'appel d'air éteignit ma lampe dès que j'ouvris la porte du grenier. Mais il n'était pas besoin de lampe dans ces combles aux lucarnes larges, où la lune entrait par nappes de lait...
La campagne brillait à perte de vue... Une petite chevèche imita le chat dans un arbre, et le chat lui répondit ...
Mais rien ne marchait dans le grenier. J'attendis un long moment, et je redescendis. Bel-Gazou dormait.
J'ai écouté toutes les nuits. On marche là-haut, tantôt à minuit, tantôt vers trois heures. Une nuit, j'ai gravi et descendu quatre fois l'étage inutilement...
Nous avons guetté cette nuit, les deux garçons et moi, laissant Bel-Gazou endormie. La lune en son plein blanchissait d'un bout à l'autre une longue piste de lumière. Dans l'obscurité, derrière la porte à demi ouverte, nous nous ennuyâmes pendant une bonne demi-heure... Renaud me serra le bras: on marchait au bout du grenier. Un rat détala et grimpa le long d'une poutre suivi de sa queue de serpent. Le pas solennel approchait, et je serrai de mes bras le cou des deux garçons.
«Il» approchait, lent, avec un son sourd, bien martelé, répercuté par les planchers anciens. Il entra, au bout d'un temps qui nous parut interminable, dans le chemin éclairé. Il était blanc, gigantesque: le plus grand oiseau nocturne que j'aie jamais vu, un grand duc plus haut qu'un chien de chasse.
Il marchait majestueusement, en soulevant ses pieds noyés de plumes, ses pieds durs d'oiseau qui rendaient le son d'un pas humain. Le haut de ses ailes lui dessinait des épaules d'homme, et deux petites cornes de plumes qu'il couchait ou relevait tremblaient au souffle d'air de la lucarne. Il s'arrêta, se rengorgea, tête en arrière et toute la plume de son visage magnifique enfla autour de son bec fin et de deux lacs d'or où se baigna la lune. Il fit volte-face, montra son dos tavelé de blanc et de jaune très clair. Il devait être âgé, solitaire et puissant. Il reprit sa marche de parade et l'interrompit pour une sorte de danse guerrière, des coups de tête à droite et à gauche qui menaçaient sans doute le rat évadé. Il crut un moment sentir sa proie et bouscula un vieux fauteuil comme il eût fait d'une branche morte. Il sauta de fureur, retomba, râpa le plancher de sa queue étalée... Il devina sans doute notre présence car il se tourna vers nous d'un air outragé. Sans hâte, il gagna la lucarne, ouvrit à demi des ailes d'ange, fit entendre une sorte de roucoulement très bas, s'appuya sur l'air et fondit dans la nuit, dont il prit la couleur de neige et d'argent.
Adapté à titre exceptionnel
pour les élèves du Cours Moyen
d'après Colette
La maison de Claudine
Ed. Hachette
1. Relève le membre de phrase qui montre bien que Bel-Gazou ne dort pas.
2. Entoure la phrase du texte.
Au même moment, j'entendis distinctement le bruit d'un pas lourd.
Au même instant, j'entendis distinctement le bruit d'un pas lourd.
Au même instant, j'entendis nettement le bruit d'un pas lourd.
3. Remplace ce qui est entre parenthèses par le mot exact du texte.
La main de ma fille, que je serrais (se fit plus petite) dans la mienne.
Il montra son dos (qui présentait des taches) de blanc et de jaune.
Il se tourna vers nous avec l'air (d'avoir subi une injure).
4. Quel est le nom de l'oiseau ? _____________________________________________.
Il ne sort que la nuit, c'est un oiseau _________________________________________ .
5. Trouve les 2 expressions qui peignent la marche de l'oiseau.
6. Remets en ordre.
Sans hâte, il s'appuya sur l'air et ouvrit à demi des ailes d'ange, il gagna la lucarne, fondit dans la nuit, fit entendre une sorte de roucoulement très bas.
7. Relève la phrase qui te plaît le plus dans ce texte.