La montagne embrasée.
«Hisse ! »
Ç
La route semblait faite d'une espèce de pâte rocailleuse qu'un géant aurait fait cuire dans un four avant de la jeter, tel un long serpentin, au flanc de la montagne. Après quoi, il l'aurait joyeusement piétinée. Gonflée somme du pain bis sur cinquante mètres, elle s'effondrait soudain sans raison sur les cinquante mètres suivants, criblée de sillons coupants, mortels pour les pneus.
Afin, semblait-il, de rendre plus passionnante la vie de l'infortuné automobiliste égaré sur cette route maudite, son tracé était tel qu'elle n'arrêtait pas de tourner, de virer, de plonger, de zigzaguer, de remonter, de s'élargir, de se rétrécir, tout cela laissant réellement une impression saisissante.
Complètement méconnaissable derrière les verres empoussiérés des lunettes noires qui protégeaient ses yeux douloureux, Ellery Queen se tenait voûtée, crispé sur le volant, luttant contre sa vieille voiture. Depuis le départ il ne cessait de maudire les tournants de cette prétendue route. «Tout ça, c'est bien ta faute ! gémit son père. Je t'avais bien dit de rester sur la route de la vallée ! Mais non, il a fallu que tu te prennes pour un explorateur alors que la nuit commençait déjà à tomber... »
Ellery poussa un soupir. Son regard se posa une seconde sur la voûte céleste qui s'empourprait insensiblement. La route des hauteurs bordant la vallée avait paru tellement engageante... Au détour d'un des innombrables virages, ils venaient d'atteindre une hauteur. Émerveillé, Ellery s'arrêta. Tout le ciel s'était coloré et, au fond de la vallée, le soleil, derrière les crêtes, jetait ses dernières lueurs orange. Ils étaient à trois mètres du bord de la route. Là, tout tombait en cascade de verdure, jusqu'au fond de la vallée.
Brusquement, la nuit les enveloppa. Ellery alluma les phares et la randonnée cahotante continua en silence. Ils regardaient devant eux, le fils l'air rêveur, le père l'air furibond.
Soudain, le père se redressa :
- Hum ! mais ... on dirait que quelqu'un fait du feu !
- Quoi ?
- De la fumée, Ellery ! De la fumée ! Tu la vois ?
- Allons donc ! ce doit être le brouillard !
Mais l'espèce de brume s'épaississait à chaque tour de roue. On distinguait une drôle d'odeur âcre et piquante.
- Est-ce que ? ... murmura Ellery.
- Ça m'a tout l'air d'être ça, dit son père.
- Un incendie de forêt ?
- Oui.
Une étrange chaleur avait envahi l'atmosphère. La brume tourbillonnante que fendait la voiture était devenue jaunâtre et épaisse comme du coton. A trente ou quarante mètres à peine, de petites langues orange pénétraient l'épais nuage.
- Il vaudrait peut-être mieux faire demi-tour, dit Ellery.
- Je crois que ... Derrière nous le feu est arrivé à la route !
C'était trop bête ! Cernés par le feu ! Ellery poussa un cri, écrasa l'accélérateur au plancher et la voiture se rua en avant. Les faisceaux lumineux des phares faisaient ressortir les volutes blanc jaunâtre de la fumée...
Des flammèches retombaient partout. Une nouvelle odeur frappa leurs narines : le caoutchouc brûlé. Les pneus !...
Soudain le père se dressa :
- Là, Ellery, là !
Ellery écrasa la pédale du frein. A travers une éclaircie dans le nuage de fumée, une trouée apparut, noire comme l'entrée d'une caverne. La voiture bondit en marche arrière, cria, repartit en avant en rugissant, attaqua un chemin qui faisait un angle aigu avec la route, prit de la vitesse et se mit à grimper...
Une bise d'une douceur indicible, une senteur d'aiguilles de pin, une fraîcheur délicieuse ...
En vingt secondes, Ellery et son père venaient de laisser derrière eux le feu, la fumée et la mort.
d'après Ellery Queen
Le mystère des frères siamois,
traduit de l'anglais par Antoine Béguin
Librairie générale française
1.Complète :
La route semblait avoir été jetée tel ____________________________________________________
________________________________________________________________________________
Sur cinquante mètres, elle était gonflée comme ___________________________________________
2. Quels sont les verbes que j'ai oubliés ?
La route n'arrêtait pas de tourner, de plonger, de zigzaguer, de s'élargir.
3. Le père d'Ellery ne voulait pas prendre cette route, qu'avait-il dit à son fils ?
4. Remplace ce qui est entre parenthèses par les mots exacts du texte.
Au détour d'un des virages (dont on ne peut pas dire le nombre)
(la promenade sur cette mauvaise route) continua en silence.
Le père avait un air (très mécontent)
5. Le père d'Ellery dit :
- De la fumée, Ellery ! De la fumée ! Tu la vois ?
Que répond son fils ?
6. Remets en ordre :
La voiture cria, repartit en avant en rugissant, attaqua un chemin qui faisait un angle aigu avec la route, bondit en marche arrière, se mit à grimper, prit de la vitesse.
7. Combien de temps Ellery a-t-il mis pour faire toutes les manoeuvres ?