Ces événements se déroulent sur une île du Pacifique.
Dubois a fait une espèce de grimace et a dit :
- A cette époque de l'année cela n 'arrive jamais. Mais nous pourrions bien avoir une queue de cyclone.
Nous n'avons pas répondu. Peyrole est retourné à la jeep. Nous l'avons suivi. Il allait mettre le moteur en marche quand Dubois a posé la main sur son épaule :
- Ecoutez !
Nous avons entendu le vent avant de le sentir. Nous l'avons vu accourir sur nous à toute allure, depuis la cime du Hiro, d'abord comme une onde qui retroussait les feuilles au sommet des arbres, puis soudain, comme une vague énorme, chargée de branches, de tôle et d'autres choses que nous ne distinguions pas.
- A l'abri, là, a crié Peyrolle en sautant de voiture et en courant vers un très gros rocher posé au bord des arbres.
Nous l'avons suivi. Je le vois encore, courant de toutes ses forces, avec ses grosses et courtes jambes, une main sur son képi pour l'empêcher de s'envoler.
Nous n'étions pas encore dans le vent. Mais l'air était comprimé, presque palpable. Nous sommes arrivés au rocher. C'était un bon refuge. Il était entre le Hiro et nous, et, avançant vers la mer, il protégeait deux ou trois mètres carrés de sol comme un toit. Nous sommes arrivés jusqu'à lui, nous nous sommes appuyés à lui, et soudain encore l'air a changé, il est devenu léger et frais. Nous nous sommes regardés : nous n'avons pas eu le temps de parler. Cela a duré peut-être deux secondes. Aussitôt après, les premières feuilles passaient au-dessus de nous, puis les premières branches, tandis qu'éclataient à droite et à gauche, les coups de fusil des troncs de cocotiers qui cassaient.
Nous nous sommes couchés, la tête contre le rocher qui tremblait et nous avons attendu. Je protégeais mon visage avec mes bras, ma bouche était posée sur une terre noire et grasse qui sentait l'humus, je respirais mal, tout mon corps était fouetté, battu par des projectiles dont je ne devinais pas la nature, et j'attendais. Le bruit était si énorme qu'il nous avait dépassés et que nous ne l'entendions plus. J'étais collé à la terre chaude, je ne pensais à rien. Les autres n'existaient plus, ni l'île ni même moi.
Puis le vent a un peu diminué, c'est à ce moment que la pluie a commencé. Elle est arrivée comme le reste sans prévenir. D'abord, il n'y avait que le vent et puis tout à coup, il y a eu des cataractes de pluie, si épaisses que j'ai cru que c'était la mer. J'ai léché mes lèvres, ce n'était pas salé.
Bientôt, des ruisseaux se sont formés, à droite et à gauche de notre rocher et sont venus envahir la petite cuvette où nous étions réfugiés. Nous avons dû nous lever, nous appuyer contre le rocher qui tremblait toujours. Le ciel était gris vert et la lumière était la même que celle que l'on reçoit par dix mètres de profondeur lorsqu'on plonge sur un fond d'algues. Nous avions d'abord appuyé nos visages contre la paroi, pour les protéger du sable et des brindilles qui tourbillonnaient encore. L'eau montait. Nous nous sommes retournés. Nous étions jusqu'aux genoux dans une sorte de torrent. Au delà de l'abri du rocher, il n'y avait que le rideau gris de la pluie. J'ai regardé mes voisins. Ils avaient tous les deux le visage en sang, si bien que je passai ma main sur mon front, et que je sus que, moi aussi, je saignais. Nous étions limés par le sable comme par du papier de verre. Peyrolle avait, bien entendu, perdu son képi. Dubois, avec ses cheveux longs commés en mèches irrégulières, ressemblait à une vieille femme un peu folle.
Cela a duré plus de deux heures. Il était impossible de parler. Et puis le vent est tombé. La pluie est devenue seulement une pluie très violente. Nous étions trempés et glacés. Puis nous sommes partis à la recherche de la jeep. Elle avait disparu avec le reste. On l'a retrouvée plusieurs jours plus tard coincée entre des arbres, dans la pente. On y voyait toujours très mal, mais le jour était revenu. Autour de nous, le paysage n'avait aucun sens. Ce n'était que troncs brisés à mi-hauteur, racines dardées vers le ciel, emplacements dégagés avec un soin maniaque ou au contraire empilements incompréhensibles.
Peyrolle se pencha vers moi :
- Ne bougez pas, il n'y a plus de danger, je vous enverrai quelqu'un. Puis il partit à travers les troncs renversés.
Nous sommes restés là encore trois heures. Dubois a très adroitement arrangé un toit de feuilles dans un endroit à peu près sec, au creux d'un amas de branches. Et nous avons attendu en silence, épaule contre épaule en grelottant. La pluie a fini par s'arrêter. Le soleil est revenu dans un ciel très bleu et tout s'est mis à fumer.
d'après François Clément
Naissance d'une île
Ed. Robert Laffont
1. Complète :
Le vent accourt depuis la cime du _________________ comme ___________________________________________
qui _________________________________________________________________________________________________
puis comme __________________________________________________________________________________________
et d'autres choses.
2. Quelle surface du sol le rocher protège-t-il ?
L'air est devenu léger et frais pendant combien de temps ?
3. Qu'est-ce qui passe au-dessus des trois voyageurs ?
_____________________________________________ puis ________________________________________________
Qu'entendent-ils ?
___________________________________________ des ___________________________________________________
qui ______________________________________________________________________________________________
4. La pluie est très violente. Quel mot l'auteur emploie-t-il pour le faire sentir ?
_____________________________________________ de pluie.
5. L'auteur emploie une comparaison pour décrire la lumière. Relève-la.
La lumière était _____________________________________________________________________________________
6. L'auteur explique pourquoi ils avaient le visage en sang.
Cherche la phrase qui le dit.
Nous ______________________________ par __________________________________________________________
comme __________________________________________________________________________________________
7. Souligne les phrases où rien n'a été changé.
Nous étions jusqu'aux genoux dans un torrent boueux.
Dubois, avec ses cheveux longs collés en mèches irrégulières, ressemblait à une vieille femme un peu folle.
On l'a retrouvée plusieurs jours plus tard, coincée entre des arbres, dans la pente.
Dubois a adroitement arrangé un toit de feuilles dans un endroit presque sec, au creux d'un amas de branches.