Dawa, le petit tibétain. II.

Après ce premier repas commençaient les classes. A chacun, on donnait un livre, avec des feuilles longues et pas collées aux autres sur lesquelles étaient écrites des prières impirmées avec de l'encre composée de beurre et de noir de fumée que l'on ramassait sur le plafond de la cuisine. Le papier était fabriqué au château, par des élèves. C'était du papier fait avec l'écorce insecticide d'un buisson, c'est le meilleur papier du monde, car jamais les insectes ni les rats ne peuvent le manger. De plus il ne jaunit pas avec l'âge.

Pour appeler les élèves en classe, le professeur prenait un fouet et frappait la poutre de la porte, faisant un bruit comme un tambour. Le professeur a toujours un fouet, pour la discipline, et quand on ne la respectait pas, on nous donnait un coup de fouet sur le dos; finalement ça faisait beaucoup plus de bruit que de mal, mais il valait quand même mieux être sage.

Pour apprendre à lire, nous chantions tous à haute voix les paroles dans les livres. Lire c'est plus facile qu'écrire. Pour écrire on nous donnait un petit bâton pointu et de l'eau, pas de l'encre; ensuite une planche de bois. Nous avions tous aussi de la craie blanche, dans un petit sac, mais pas pour écrire. On recouvrait la planche de cette poudre de craie, puis avec de l'eau sur la plume, on enlevait cette poudre; les lettres apparaissaient alors en noir sur fond blanc. Pour effacer, on remettait de la poudre. C'est presque le contraire des écoles du reste du monde.

Le soir, nous couchions tous dans la salle de réunion. Chacun a son tapis, son oreiller et sa couverture. Nous les étendions par terre et nous dormions. Avant de dormir, le professeur souffle la lampe. Nos lampes, c'est du beurre, oui on brûle du beurre, c'est comme de l'huile et ça sent bon. La lumière est presque rose mais pas très forte. Chez nous, il y a beaucoup de vaches et de dri. Une dri c'est la mère du yak et le yak c'est un animal qui vit seulement au Tibet. Sans le yak et la dri, je ne sais pas ce que l'on deviendrait. Avec les poils de yak on confectionne des couvertures et des tissus pour faire des tentes, car au Tibet tout le monde a une tente pour voyager dans les montagnes, ou pour aller surveiller les animaux. La dri nous donne aussi de la viande. La viande de yak, c'est très bon, mais comme on n'a pas le droit de tuer une mouche, ce n'est pas nous qui tuons les yaks, mais des bouchers qui ne sont pas tibétains. La viande, on la fait sécher au soleil, et, comme l'air est très pur, elle ne moisit pas, elle devient comme du jambon rose et un peu sèche. Mais surtout le yak sert à voyager, on peut monter dessus comme sur un cheval ou lui attacher des bagages sur le dos. Comme les chameaux, les yaks marchent longtemps sans boire, et puis ils n'ont jamais froid à cause de leurs longs poils. Ils marchent très lentement, mais bien plus loin qu'un cheval sans se reposer. Une fois par an, tous les élèves vont faire un grand voyage. On se prépare longtemps à l'avance, on voyage à pied ou à cheval. On quitte le grand collège pour aller dans les régions sèches et fraîches au collège d'été.

J'ai beaucoup aimé ce voyage, nous avons traversé trois pays où on parle tibétain. Peu de gens savent que nous sommes les seuls parmi les pleuples du monde, qui puissions marcher vingt-cinq mille kilomètres en ligne droite et ne rencontrer que des gens comme nous qui parlent tibétain.

J'ai franchi des montagnes très hautes, toutes gelées et où l'air était tellement léger qu'on avait mal à la tête. Dans les régions sèches et froides, les arbres ne poussent pas, alors on se chauffe avec des crottes. Ça chauffe très bien et ça ne sent pas mauvais du tout car elles sont sèches. On les ramasse dans les pâturages des moutons et des yaks, toutes sèches, et on les brûle.

Le collège d'été était très joli, beaucoup plus petit que celui d'hiver. Nous y restions trois mois. Nous allions ramasser des fleurs et des herbes pour fabriquer des médicaments car il n'y a pas de pharmacien chez nous, ce sont les collèges qui préparent des médicaments, des tisanes et des pastilles faites avec des feuilles et des fleurs. C'est plus joli et c'est bon. Chez nous, peu de gens sont malades car le climat est très sain, l'air de la montagne est si pur.

Je sais qu'il existe des pays où il y a des avions qui volent, des voitures qui roulent, des usines qui fument, des lumières qui clignotent, cela doit être amusant; nous, nous n'avons que des oiseaux qui chantent, des chevaux qui piaffent, des lampes qui vacillent et le vent qui chante, mais nous sommes très heureux comme ça. C'est différent chez nous, voilà tout.

d'après Michel Peissel

Au pays où les enfants sont rois.

Ed. G:P: Rouge et Or