Les loups. I.
(Le loup blessé.)
Pascal est un garçon de dix ans qui vit à la campagne et qui a pour amis un couple de loups à moitié apprivoisés. Ces loups sont enfermés à la cave et leur cage, située au-dessus d'un certain puits, se prolonge par une sorte de tunnel. Verdun, un vieil ami de la famille, s'occupe d'eux.
- Papa, il est arrivé un malheur ! me dit Pascal.
Je me retourne brusquement vers lui... je me raisonne. Avec les enfants, les proportions des événements ne sont jamais les mêmes qu'avec les adultes. En fait de malheur, il s'agit peut-être seulement d'un accident survenu au wagon-grue du train électrique.
- Oui ? de quoi s'agit-il ?
- Eh bien, tu sais, je suis descendu à la cave et je me suis avancé dans le tunnel des loups...
- Je t'avais dit de ne pas y aller. Ils t'ont attaqué ?
- Non, pas du tout. Mais l'un d'eux est tombé dans le puits du couloir. Le soulagement m'envahit puisque l'enfant n'a rien.
- J'ai eu très peur, dit Pascal, car j'ai craint que le blessé ne soit la louve et que les petits qu'elle porte ne soient en péril. Mais c'est le loup, Adam, qui est tombé. Les planches posées par Verdun s'étaient déplacées.
- Le loup se plaint ?
- Non, il se tait.
- Et Eve, où est-elle ?
- Elle est debout à côté. Elle se tait aussi. Je l'ai approchée.
- Va prévenir Verdun. Dis-lui d'apporter une échelle.
Dans le pinceau lumineux de la torche électrique, nous voyons le loup étendu en cercle au fond du puits à trois ou quatre mètres. Une de ses pattes de devant, assurément brisée, forme un angle anormal. Il lève calmement la tête et nous regarde sans aucune impatience. Verdun descend. Du fond du puits, il nous dit que le loup n'a pas la patte cassée mais l'épaule démise et que ce n'est rien. Puis il le prend carrément dans ses bras. Silencieux et immobile, il remonte l'échelle. C'est seulement au moment où il émerge près de nous que je m'avise que depuis un bon moment déjà, nous côtoyons sans même y prendre garde, la louve ombrageuse et redoutable.
- Eh bien, voilà, dit Verdun, je vais reboucher le pjuits. Mais il fait froid déjà, la nuit. Maintenant que le loup ne peut plus marcher, il vait mieux, à mon avis, l'installer à la cave.
A la lumière de la lampe, il dépose le fauve sur le sol de terre battue, s'accroupit à ses côtés, tâte longuement son épaule de ses mains fortes et expertes, place un pied sur son thorax, et tire sur sa patte d'un geste brutal et précis. On entend un craquement sec, accompagné d'un bref jappement du loup, puis celui-ci se recouche et ferme les yeux. La patte atteinte a repris une position naturelle. Verdun rabaisse les manches de sa chemise. la louve s'avance vers lui et lui donne sur les mains un rapide coup de langue, un seul. Elle lèche aussi l'épaule du loup, puis s'étend à ses côtés. Au moment où nous quittons la cave, je me retourne et vois les deux loups, couchés tête-bêche, qui nous regardent en silence.
- Le loup sera malade longtemps ? demande Pascal à Verdun.
- Je ne crois pas. Dans quelques jours il sera de nouveau debout dans le chenil. Tu verras. Seulement nous devons désormais nous organiser autrement. Je me suis occupé de tes loups jusqu'à présent. Maintenant, je n'ai plus le temps de le faire. C'est toi que cela regarde. Pour commencer, va demander une écuelle d'eau à Marinette et descends-leur à boire.
- D'accord.
L'enfant sort. Je me tourne vers Verdun.
- Tu n'as pas peur qu'il lui arrive quelque chose ?
- Non, il ne risque rien. Plus maintenant.
.... Les loups viennent d'entrer dans la famille. Notre intimité avec eux est devenue complète. Matin et soir, désormais, l'enfant leur apporte l'eaus et la viande.
(à suivre)