Le cimetière des cachalots. I.

(Une aventure au Grand Nord)

Le capitaine Ross, le professeur Somerville et le navigateur Rogers sont partis dans le Grand Nord à la recherche du «cimetière des cachalots » qui renferme de l'ambre gris, trésor fabuleux. Leur expédition commence en avion et se poursuivra en traîneau.

Nous avons franchi toute la largeur de l'île de Baffin, nous avons survolé l'extrémité du détroit de Lancaster et nous sommes parvenus à la piste d'atterrissage du Cap Farewell - terrain d'aviation le plus septentrional du monde. Puis continuant notre vol et pénétrant de plus en plus profond au coeur de l'Arctique, nous avons atteint enfin la lisière des îles Parry.

Comme d'habitude, nous avions atterri à midi au bord d'un lac gelé et nous étions sur le point d'embarquer pour notre vol de reconnaissance habituel de l'après-midi. Ross s'apprêtait à mettre l'avion en état de marche - travail qui lui prenait invariablement au moins quatre heures par jour - tandis que Somerville et moi, nous nous disposions à partir pour la chasse, comme nous le faisions chaque après-midi, de manière à garder intactes nos provisions.

Pendant que nous lacions nos chaussures de neige, je pouvais voir, dans l'avion, le capitaine en train de rassembler ses outils.

- Pouvez-vous nous passer les fusils ? lui criai-je.

Il fit glisser la fenêtre de la cabine de pilotage et nous donna nos deux fusils.

- Et le vôtre ? suggérai-je.

Le troisième fusil suivit les autres.

- Je vais le déposer contre le gouvernail de profondeur, lui criai-je.

Il hocha la tête. Je vis bien qu'il n'écoutait qu'à demi mais je pensai «de toute manière, il n'aura pas besoin de son fusil ! »

Somerville et moi sommes partis à la recherche de morses. A quelque cinq cent mètres de l'avion, nous avons découvert une piste: les traces de pas d'un ours, si fraîches que la neige tout autour s'effritait encore. Aux traces et aux poils qui restaient pris dans la neige, je pouvais voir qu'il s'agissait d'un ours polaire, animal très dangereux. Nous aurions dû revenir sur nos pas.

- Pistons-le, murmura Somerville. Un ours nous fournirait de la viande pour des semaines.

J'acceptai cette folie presque à contre-coeur. Le terrain n'était pas facile. C'était une masse d'énormes rochers couverts de neige. Pendant dix minutes, nous avons avancé à pas prudents. Bientôt, la piste changea de direction, comme si l'animal, revenant sur ses pas, s'était dirigé tout droit vers la baie où nous avions laissé Ross et l'avion. Somerville et moi, nous nous sommes jetés un regard inquiet avant de presser le pas.

Quand nous sommes arrivés à proximité de la baie, nous avons entendu le bruit des coups de marteau et la joyeuse voix du capitaine Ross qui entonnait une chanson. Soudain, la dernière strophe s'interrompit net.

- Venez vite, hurlai-je, vite !

Nous avons couru et nous avons été frappés par un spectacle qui nous fit dresser les cheveux sur la tête. Ross était debout sur un escabeau, le long d'une aile de l'avion. Dans la main, il tenait un chiffon graisseux. Son fusil était toujours appuyé contre la queue de l'appareil. Et, reniflant la base de l'escabeau, se trouvait l'ours polaire, le plus gigantesque que j'aie vu.

Soudain, cet ours se dressa de toute sa hauteur. Ses pattes balayaient l'air devant son museau et il donna un grand coup en direction du capitaine.

Deux fusils crachèrent en même temps. L'ours se coucha en travers du flotteur et s'abattit, tordant sous son poids les supports du flotteur qui se brisèrent. Toute la carlingue bascula. Ross se laissa glisser sur le sol.

- Rien de cassé ? demanda Somerville.

- Moi, ça va. Mais l'appareil, non !

L'avion gisait à moitié enfoui dans la neige. Les dégats me semblaient irréparables.

(à suivre)