Dans les mers polaires .I.

(Un S.O.S.)

Le froid maintenant était vif, cinglant, les glaces plus nombreuses. Sous ses pieds, en un frémissement, Nils Hovgaard, le capitaine, devinait l'effort du navire. Des stalactites, éblouissantes, pendaient aux haubans et, sur le gaillard d'avant, les lames successives avaient laissé une mince pellicule de glace, luisante, bleuâtre. Le regard du capitaine s'attarda longuement sur la forme colorée, tassée contre le cabestan. Yack, le Lapon, ignorait le froid et tirait d'une flûte de bois des sons aigrelets comme le vent. Parfois un iceberg se profilait entre l'horizon et le Stbornhölm, énorme miroir qui renvoyait l'éclat su soleil contre le flanc du navire.

- Capitaine !

Les hommes sursautèrent à la voix de Hamle, l'officier radio.

- Navire en perdition, Capitaine !

Nils se tourna vers les hommes.

- A vos postes !

Les marins du Stbornhölm se précipitèrent. L'un d'eux, Julius, s'arrêta devant le capitaine.

- Le navire ?

_ Le Sorroy... A l'entrée de la baie de Christianshaab.

Haml avait recoiffé son casque d'écoute. Appuyé à la table, Nils se pencha vers les appareils.

- Alors ?

- Ils ne comprennent pas comment ça leur est arrivé ! Un vent brutal venu de la terre qui les a dressés contre les glaces.

- Personne d'autre que nous dans les parages ?

Le radio haussa les épaules.

- Personne, capitaine !... Il faut y aller !

Nils, en courant, rejoignit la passerelle.

- Machines au maximum, Julius !

- Et les icebergs, capitaine ?

- Machines au maximum Julius !

Tous les hommes qui n'étaient pas aux machines s'étaient massés à l'avant du navire et scrutaient la mer.

Deux heures encore avant de rejoindre le Sorroy ! Mais Nils connaissait cette solidarité des gens de mer. Des heures, malgré le froid, les marins allaient rester là et le premier qui apercevrait l'épave sentirait monter en lui une vague de joie et de gratitude.

Une fois de plus, Nils descendit à la chambre d'écoute. Alors qu'il était encore dans l'escalier, il entendit trois coups sourds et le navire frémit. Le Stbornhölm, maintenant, de toute la force de ses machines, se frayait un passage dans les glaces.

Ce n'était pas la nuit encore, la vraie nuit, mais le crépuscule polaire qui, six mois durant, remplace le jour.

Nils rejoignant la passerelle, s'arrêta devant Yack et sa voix fut lourde d'appréhension.

- Crois-tu que nous arriverons à temps ?

Le Lapon leva les mains, les paumes tournées vers le ciel bas.

- Tes machines sont-elles bonnes ?

- Elles sont comme neuves !

- Alors nous arriverons ! Le vent va baisser maintenant.

Une voix retentit.

- Navire droit devant !

Le Sorroy était devant eux ! Sur la lancée le Stbornhölm dépassa l'épave et Nils alluma un projecteur. Le navire avait une gîte effrayante. Par la cheminée, des paquets de mer s'engouffraient en grondant dans les flancs du bâtiment, l'alourdissant encore. Parfois la mer, en déferlant, soulevait le navire.

La décision de Nils fut prise. La houle était trop forte, les glaces trop nombreuses... Il fallait lancer une amarre en travers de l'épave et établir un va-et-vient.

Quand le câble fut tendu, une poulie à laquelle pendait, au bout d'une corde, une simple planche, fut mise en place. Les hommes du Sorroy, un par un, devraient s'asseoir à califourchon sur cette planche, une jambe de chaque côté de la corde et se laisser hâler par les marins du Stbornhölm.

Les uns après les autres, les rescapés furent ainsi amenés sur le cargo.

(à suivre)