L'interrogatoire
Cette histoire se passe sous l'occupation en 1943-1944. Joseph et son frère, deux enfants juifs, ont été arrêtés par des soldats allemands. Pour sauver leur vie, ils nient être juifs. Ils sont longuement interrogés.
Nous avons été conduits dans une des chambres qui devait autrefois servir au personnel de l'hôtel, je n'ai pas dormi.
A six heures du matin, nouvel interrogatoire. Cette fois nous sommes séparés.
Le S.S. qui m'interroge est très différent du premier. Il arrête les questions de temps en temps pour se mettre des gouttes dans le nez. C'est également un autre interprète. Celui-là roule les r. Dès mon entrée dans le bureau, j'ai senti une connivence s'établir entre lui et moi, je sais qu'il va me soutenir. C'est capital un interprète dans un interrogatoire, il suffit d'un mot, d'une intonation et tout change.
- Décris la chambre où tu habites, rue Jean-Jaurès.
Je sais qu'ils vont comparer avec la déposition de Maurice, mais là, peu de chance qu'ils nous coincent.
- Je couchais avec mon frère, lui avait le lit près de la porte, moi près de la fenêtre, c'était du parquet par terre avec une descente de lit chacun, un petit tapis rouge, pour chacun. On avait une table de nuit chacun aussi avec une lampe, mais les lampes étaient différentes, la mienne avait un abat-jour vert...
- Ne parle pas si vite, il faut que je traduise.
Il se lance dans une longue phrase. Le S.S. renifle et ajoute quelque chose. L'interprète a l'air ennuyé.
- Ton frère a dit que ton abat-jour était rose.
- Non, il s'est trompé, il était vert.
- Tu es sûr ?
- Sûr.
Échange en allemand. Rapidement l'interprète lâche à mon intention:
- Tu as raison. Il avait dit vert. Et tes deux frères, qu'est-ce qu'ils faisaient ?
- Au salon de coiffure, ils coupaient les cheveux.
- Ils faisaient de la politique ?
Je fais une grimace dubitative.
- Je ne sais pas, je n'en ai jamais entendu parler.
- Ton père lisait les journaux ?
- Oui, tous les soirs après le repas.
- Alger Républicain ou un autre ?
Attention, ça c'est une perche, mais elle pourrait servir à m'assommer. Cet homme a l'air de m'aider, mais je ne dois me fier à rien, ni à personne.
- Je ne sais pas les nom des journaux.
- Ça va, tu peux sortir.
Des couloirs encore, me voici à la chambre de bonne où Maurice m'attend. La porte se referme. Jamais les soldats ne tournent la clé, mais ce serait une folie d'essayer de sortir.
Il y a une fenêtre, nous sommes tout en haut, au dernier étage. Nous nous accoudons. Si quelqu'un nous regarde par le trou de la serrure, il ne nous verra même pas parler.
- Un autre truc, dit Maurice, le dimanche on allait à la mer. On se baignait sur une plage, on ne se souvient pas du nom.
Je songe à part moi, que ça fait beaucoup de choses dont nous ne savons plus les noms.
(à suivre)