Un pilote d'avion perdu en mer. II.
... Petit à petit, cependant, au-dessus de la Méditerranée toujours creusée de vagues folles, les nuages se dissipent, et du fond de son dinghy, Jean-Luc croit voir le jour qui se lève... Est-ce l'aube ?... Mais non, c'est la lune. Transi jusqu'aux os, il essaie de remuer ses jambes pour éviter l'intolérable douleur des crampes.... Enfin, voilà l'aube qui répand sa lumière pâle alors que le naufragé, vaincu par le froid et la fatigue, vient de s'endormir.
Oh ! pas pour longtemps, car un bruit de moteur le réveille. Un avion passe plusieurs fois à proximité de lui. Sans doute cherche-t-il à distinguer, sur l'eau trop immense, le dinghy dont le capuchon noir se voit si mal ? Bien sûr, Jean-Luc pourrait le rabattre, l'intérieur du canot est jaune, on le distinguerait mieux, mais il se sent alors mourir de froid. Non, non, il faut tenir. Tenir malgré ses mains gonflées d'eau et ses doigts engourdis qui serrent étroitement la toile mouillée.
Encore une énorme vague, la plus énorme de toutes ! Jean-Luc se sent soulevé puis retombe au fond d'un abîme. Brave petit canot qui se refuse à sombrer ! Combien d'heures cela va-t-il encore durer ? Mais voici un avion, puis un autre, celui qui était venu la veille, qui repasse aussi.... Il appelle, il gesticule, le naufragé. En vain, toujours en vain.... Si cela continue, reverra-t-il jamais sa famille, sa maison ? Jean-Luc se croit la proie d'un mirage quand il remarque, durant une accalmie une courroie jaune que la tempête, jusqu'alors tenait rabattue sous le fond du dinghy. Serait-ce ?... Il tire.... il tire encore.... mais oui ! Merci, Seigneur.... Le sac de secours habituellement attaché au canot est bien là, alors que le pilote se désolait de l'avoir sans doute perdu au cours de sa chute.
Vite l'inventaire... De vrais trésors ! Jean-Luc chanterait s'il en avait la force. Il sourit. Il essaie de caresser les trois mouettes qui se sont posées à son bord.
Le ciel à présent se dégage et le soleil monte, quoique la mer ne s'apaise guère... Jean-Luc a ouvert la trousse, et ses mains engourdies ont tout laissé tomber dans l'eau du dinghy, entre ses jambes. Aucune importance, le matériel est prévu pour ce genre d'accident ! L'important, le merveilleux, le miraculeux, ce sont les fusées, la boîte à eau douce, le miroir solaire, les médicaments, les pagaies phosphorescentes, les feux de Bengale.
Même si personne n'arrive à le distinguer, peut-être pourra-t-il, quand la mer sera redevenue calme, se diriger à la rame vers la côte qui se profile dans le lointain ? Si le froid seulement n'était pas si terrible ! Une fois encore Jean-Luc refait l'inventaire de son trésor. Puis il n'y tient plus, il a trop froid ! Les fusées, il ne les allumera qu'en cas de besoin, mais le feu de Bengale, ça réchauffe. En voilà un qui brûle et resonne vie aux pauvres mains qui se collent à l'étui de fer où la chaleur se conserve. Ça va mieux !
Jean-Luc peut examiner à présent le miroir qu'il manie avec précautions, tant il a peur de le laisser glisser dans la mer.... C'est une toute petite glace qui ressemble à celle que les fillettes ont dans leur sac. Celui-là est pourtant un miroir solaire, muni d'un détail qui permettra d'envoyer des signaux jusqu'à une distance de seize kilomètres. S'il l'avait eu ce miroir au passage des avions !
Pendant une heure interminable, Jean-Luc attend de nouveau les avions qui ne reviennent plus. La fatigue l'accable au point qu'il ferme souvent les yeux. Il serait déjà endormi s'il ne continuait à grelotter, à claquer des dents.... Pas davantage de bateaux en vue et personne dans le ciel redevenu clair. L'aurait-on déjà oublié ? Où donc le cherche-t-on ?
Mais voilà qu'un grondement soudain ranime d'un coup le naufragé... Ce tonnerre familier qui s'approche ! Le premier réflexe du jeune homme a été de tendre les bras et de crier encore.... Non, non ! Le miroir ! .... C'est le miroir qu'il faut ... Et puis une fusée ! Un feu de Bengale ! et le miroir encore dans lequel on capte le soleil. Des signaux et des signaux qui montent à seize kilomètres en l'air ! Des secondes et des secondes qui paraissent des siècles... Pourtant, là-haut, l'avion a viré. Part-il comme les autres ou reviendra-t-il ? Toute la vie de Jean-Luc est suspendue...
Après un large détour cependant, le virage se resserre, et l'appareil vole à faible hauteur. Il passe ! Il repasse ! Il a vu ! ... Le jeune pilote a découvert le dinghy jaune. Ça y est ! Le voilà localisé avec précision. A moins de cent mètres de lui, on a jeté de l'avion des pots fumigènes et une matière colorante qui permettront de le repérer. L'avion, le bel avion ne le quittera pas d'ailleurs, jusqu'à ce qu'apparaisse à l'horizon le canot de sauvetage prévenu par radio, et qui accourt malgré la mer toujours grosse. Bientôt il s'approche, moteur coupé.
Quelques manoeuvres... des filins qu'on lance... un abordage difficile. Attaché à son dinghy, Jean-Luc, enfin ! a été péniblement hissé dans la robuste embarcation. Il est sauvé.
d'après Saint-Marcoux
La Caravelle
Ed. G.P. Rouge et or (Collection Souveraine).