Le pays que j'ai quitté.
Laisse-moi.... Je ne veux rien, que détourner la tête et ne plus voir la mer... je déteste tout, et par dessus tout la mer ! Va la regarder, toi qui l'aime ! Elle bat la terrasse, elle fermente, fuse en mousse jaune, elle miroite, couleur de poisson mort. Sous la vague plombée, je devine le peuple abominable des bêtes sans pieds, glissantes, glacées...
Ordonne à la mer de s'éloigner ! Fais signe au vent, et qu'il vienne se coucher sur le sable pour y jouer en rond avec les coquilles.
Tu ne veux pas. Tu ne peux pas. Alors va-t-en, abandonne-moi sans secours dans la tempête...
Je regrette le pays que j'ai quitté... A cette heure, l'herbe profonde y noie le pied des arbres d'un vert délicieux et apaisant...
Viens, toi qui l'ignores, viens que je te dise tout bas: le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose !
Et si tu passais en juin entre les prairies fauchées, à l'heure où la lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais à leur parfum s'ouvrir ton coeur. Tu fermerais les yeux et tu laisserais tomber la tête avec un muet soupir...
Et si tu arrivais, un jour d'été, dans mon pays, au fond d'un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleur, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m'oublierais et tu t'assoirais là, pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie.
Ecoute encore; si tu suivais, dans mon pays un petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d'un rose brûlant, tu croirais gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie...
Que t'ai-je dit ? Je parlais de mon pays pour oublier la mer et le vent. J'ai parlé en songe ... Que t'ai-je dit ? Ne le crois pas. N'y va pas... Tu ne verrais qu'une campagne un peu triste, qu'assombrissent les forêts, un village paisible et pauvre, une montagne bleuâtre et nue qui ne nourrit pas même les chèvres...
Adapté à titre exceptionnel pour les élèves du Cours Moyen, d'après Colette
Les vrilles de la vigne
Ed. Hachette.