Le félin géant. I.

(Aoûn et Zoûhr, deux hommes des cavernes.)

Au plus lointain de l'histoire des hommes, lorsqu'ils vivaient encore dans les cavernes, Aoûn et son compagnon Zoûhr étaient partis à la recherche de nouveaux terrains de chasse pour leur tribu.

Les cheveux d'Aoûn tombaient en masse rude comme la crinière des chevaux; ses yeux étaient couleur d'argile; sa force le rendait redoutable. Zoûhr avait la forme étroite d'un léopard; ses épaules retombaient si fort que les bras semblaient jaillir directement du torse: c'était le dernier des hommes-sans-épaules.

Dans la chasse, Aoûn apportait sa force et Zoûhr son intelligence. Un matin des temps, ils se retrouvèrent au bord du fleuve. Ils avaient vu monter le brasier écarlate du soleil et maintenant la lumière était jaune. Ils se dirigèrent vers le pays des cavernes. La montagne était devant eux, haute et inaccessible: sa cime formait une longue muraille. Au nord et au sud, elle élevait des masses infranchissables. Aoûn et Zoûhr se reposèrent au bord des roseaux, sous les peupliers noirs. Enormes, trois mammouths passaient sur l'autre rive. On vit s'enfuir des saïgas*; un rhinocéros bougea près d'une falaise.

Aoûn se redressa et avança jusqu'à l'ouverture de la montagne d'où sortait le fleuve. Il dit à Zoûhr: « Le fleuve vient des terres du soleil. »

Il savait que les rivières et les fleuves ont un commencement. L'ombre bleue devint l'ombre noire. Zoûhr alluma une des branches qu'il avait apportées. Ils avancèrent longtemps, passèrent par des couloirs, franchirent des crevasses, et vers le soir, ils dormirent après avoir rôti des écrevisses.

Une secousse les éveilla qui semblait la secousse du sol même. On entendit rouler des pierres, puis le silence revint. A peine née leur inquiétude s'éteignit et ils se rendormirent. Mais quand ils se remirent en marche, ils trouvèrent la route coupée par des blocs inconnus.

Alors des souvenirs montèrent dans Zoûhr:

« La terre a tremblé », affirma-t-il.

Pour mieux voir, Zoûhr alluma une nouvelle torche de résine. La lueur mêlait la vie de la flamme à la vie mystérieuse des pierres. Une large fissure s'était faite dans la muraille.

« C'est une autre terre ! » fit Zoûhr.

Aoûn et Zoûhr avançaient vers l'ouverture, mais la marche était pénible, il fallait continuellement ramper ou franchir des blocs. Le passage devint si étroit qu'ils dûrent passer de biais. Puis une saillie aiguë rendit la passe plus étroite encore et l'aventure parut sans issue. Tirant sa hache de pierre, Aoûn frappa avec colère. La saillie oscilla. Zoûhr unit son effort à celui d'Aoûn; le rocher craqua, des pierres roulèrent; on entendit un choc sourd: le passage était libre. Bientôt une lueur d'aube filtra et on aperçut une bande du ciel qui avait la couleur du saphir.

« Aoûn et Zoûhr ont franchi la montagne ! » cria joyeusement Aoûn. Dans un site de tourelles, de pics et de coupoles, des mouflons apparaissaient au bord d'un abîme; un vieil ours, sur un rocher, épiait la solitude; tandis qu'un aigle planait lentement sous un nuage bordé d'ambre.

Une terre neuve appelait l'âme aventureuse de Aoûn et de Zoûhr.

(à suivre)

* la saïga est une sorte d'antilope.